PSE
Coopératives agricoles

Renforcer les fonds propres des coopératives agricoles : les parts sociales d’épargne, un levier à développer

Face à la nécessité pour les coopératives agricoles d’investir massivement afin de répondre aux enjeux cruciaux de souveraineté alimentaire, de transition écologique et d’adaptation aux marchés, le renforcement des fonds propres s’impose comme une priorité stratégique. Pourtant, un outil juridique puissant reste encore trop peu exploité : les parts sociales d’épargne (PSE).

Créées par la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006, ces parts spécifiques, réservées aux associés coopérateurs, permettent de transformer une partie des excédents en capital stable. À la croisée de la fidélisation sociétaire, du renforcement du financement et de l’amélioration du revenu des sociétaires les PSE méritent d’être mieux comprises, modernisées et pleinement intégrées aux stratégies coopératives.

Une création juridique au service du sociétariat

L’article 19 de la loi n°2006-11 du 5 janvier 2006 a introduit deux nouvelles catégories de parts sociales dans le droit coopératif français :

  • Parts sociales à avantages particuliers (PSAP), destinées aux associés coopérateurs et non coopérateurs,
  • Parts sociales d’épargne (PSE), attribuées exclusivement aux associés coopérateurs, proportionnellement à leur activité avec la coopérative ou l’union.

Contrairement à une souscription classique, l’attribution de PSE découle d’une décision collective d’affectation du résultat, prise en assemblée générale ordinaire. Une fraction des excédents, après affectations obligatoires (réserves obligatoires, intérêts aux parts, etc.), peut ainsi être transformée en capital social sous forme de parts sociales d’épargne.

Cette affectation doit porter sur au moins 10 % des excédents annuels disponibles. Une contrainte qui devait être supprimée par un amendement adopté en février 2025 dans le cadre du projet de loi sur la souveraineté alimentaire et agricole, dans une optique de simplification et d’attractivité mais dont le texte définitif n’a pas été entériné.

Un mécanisme souple et profondément coopératif

Les PSE présentent plusieurs caractéristiques spécifiques, au service de la stabilité du capital et de l’engagement des membres :

  • Elles sont strictement réservées aux associés coopérateurs,
  • Leur attribution est proportionnelle à l’activité réalisée, selon les modalités prévues par les statuts,
  • Elles peuvent être converties à tout moment en parts sociales d’activité, à l’initiative de l’associé coopérateur et sur simple déclaration au conseil d’administration,
  • Une durée minimale de détention peut être prévue statutairement, renforçant l’assise du capital,
  • Leur remboursement est de droit lors du départ de l’associé coopérateur, ou à l’issue du délai statutaire.
Ces parts se distinguent clairement des parts sociales d’activité, des PSAP ou des comptes courants d’associés, en combinant une rémunération encadrée et une forte stabilité du capital. Elles s’inscrivent ainsi dans une logique propre au modèle coopératif : favoriser le renforcement endogène des fonds propres.

En termes de liquidité, les PSE offrent à la coopérative une stabilité appréciable : leur remboursement est encadré mais peut être anticipé selon les modalités statutaires, ce qui permet d’équilibrer sécurité financière et flexibilité.

Des chiffres encore modestes, mais un potentiel sous-exploité

Bien que créées par la loi d’orientation agricole de 2006, les parts sociales d’épargne restent aujourd’hui marginales dans la structure du capital des coopératives agricoles françaises.

Selon une enquête menée par Coop FR en 2023 auprès d’une centaine de coopératives :

  • Seules 17 % d’entre elles ont eu recours aux PSE de façon régulière,
  • Elles représentent en moyenne moins de 5 % du capital social total,
  • La majorité des coopératives favorisent plutôt l’affectation en réserves impartageables comme leviers de renforcement des fonds propres.

Pourtant, dans les coopératives ayant adopté une politique active de PSE, les retours sont largement positifs, tant du point de vue de la solidité financière que de l’implication des associés coopérateurs.

Les bénéfices des PSE

Bénéfices Pour l’associé coopérateur Pour la coopérative
Épargne différée Constitution d’un capital personnel, imposition différée Renforcement des fonds propres stables
Reconnaissance Valorisation de l’activité, fidélisation Engagement des membres sur le long terme
Sécurité Placement à faible risque, remboursement garanti Moins de dépendance au capitaux extérieurs
Gouvernance Maintien du pouvoir démocratique Pas de dilution du contrôle coopératif
Fiscalité Imposition uniquement au remboursement Flexibilité dans la gestion des excédents

Une rémunération encadrée mais incitative

Les PSE sont assimilées à des parts sociales et peuvent donner lieu au versement d’intérêts distincts de ceux versés aux parts sociales d’activité. Leur rémunération est encadrée par la loi : elle ne peut excéder la moyenne du taux de rendement des obligations des sociétés privées (TMO) sur les trois dernières années civiles, majorée de deux points (article L.523-4-1 du Code rural et de la pêche maritime).

Le même amendement proposait d’élargir ce plafond de rémunération, en l’alignant sur celui applicable aux PSAP et aux parts sociales des associés non coopérateurs. Cette harmonisation, saluée par les professionnels, visait à renforcer l’attractivité du dispositif, tout en préservant sa sécurité juridique et financière. Il n’a pas été retenu.

Une épargne différée, un capital consolidé

Attribuées en lieu et place, ou en complément, des ristournes, les PSE permettent aux associés de différer l’imposition jusqu’au moment du remboursement ou de la cession.

Pour les associés coopérateurs, elles représentent un instrument d’épargne différée :

  • Elles n’entraînent pas d’imposition immédiate,
  • La fiscalité n’intervient qu’au moment du remboursement ou de la cession,
  • Elles permettent de constituer une réserve patrimoniale, tout en conservant un lien direct avec l’activité économique.

Pour la coopérative, elles offrent un levier puissant de capitalisation, sans perte de contrôle ni dépendance à un financement externe. Dans les périodes de mutation, elles renforcent la capacité d’investissement autonome.

Comment certaines coopératives agricoles mobilisent les PSE

Plusieurs coopératives agricoles ont déjà mis en œuvre des politiques efficaces autour des PSE. Quelques exemples inspirants :

  • Amorcer un projet collectif d’investissement par les associés coopérateurs en acceptant que les ristournes soient distribuées sous forme de PSE,
  • Encourager la fidélité des nouveaux adhérents en proposant une majoration de leur ristourne s’ils l’acceptent en PSE sur les trois premières années,
  • Piloter une politique de rémunération différenciée en leur appliquant un taux d’intérêt légèrement supérieur aux parts sociales d’activité, justifié par leur caractère non immédiatement mobilisable,
  • Prévoir une clause de sortie encadrée mais prévisible garantissant la fluidité du dispositif et la sécurité financière.

Conclusion : un outil moderne, fidèle à l’esprit coopératif

Longtemps considéré comme technique ou secondaire, le mécanisme des parts sociales d’épargne est aujourd’hui appelé à jouer un rôle central dans les équilibres économiques des coopératives agricoles. Il conjugue efficacité financière, engagement sociétaire, stabilité du capital et souplesse de mise en œuvre.

À l’heure où les exigences de financement augmentent, où l’accès au crédit se durcit, et où la résilience territoriale devient un impératif, les PSE offrent une solution adaptée, fidèle aux valeurs de l’économie coopérative.

Par ailleurs, ces parts sociales d’épargne pourraient s’intégrer à des dispositifs innovants de financement participatif ou de soutien à la transition écologique, ouvrant la voie à une nouvelle dynamique coopérative.

Transformer une partie des excédents en capital, c’est investir dans la durée.
C’est faire le choix d’un modèle coopératif résilient, enraciné et ambitieux.